vendredi 18 avril 2014

Quai d’Orsay, la rue la plus chère de Paris

Pour y habiter, il vous faudra dépenser en moyenne 17.000 euros le m2...
Réalisé en association avec meilleursagents.com, Challenges sort ce vendredi matin le nouveau top 100 des rues les plus inabordables de la capitale. Oubliez l’avenue Montaigne, qui occupait la première place l’an dernier, de même que l’Elysée ou l’avenue Matignon… C’est bien simple, «la rive droite n’existe quasiment plus dans notre classement: moins d’un quart des rues les plus chères s’y trouvent encore», observe Challenges.

Quai d’Orsay, des pointes à 26.000 euros/m²

Direction donc rive gauche et plus précisément les Invalides. Ce quartier en plein cœur du 7e arrondissement truste plus d’un tiers des 100 premières places du classement. Six des dix meilleures adresses de la capitale s’y trouvent, dont la plus chère de toutes, le quai d’Orsay. Le prix du m² ? « 17.000 euros/m² en moyenne, avec, pour quelques (encore plus) beaux appartements, des pointes à… 26.000 euros/m² », détaille Challenges.
Le 6e arrondissement aussi, a la cote. En particulier les abords du Jardin du Luxembourg. Un quart des rues les plus recherchées de Paris se trouvent dans cet arrondissement.
Fabrice Pouliquen

La méthode de calcul:

Pour élaborer son top 100,  MeilleursAgents.com s’est basé sur l‘ensemble des transactions immobilières des derniers mois. Ont été prises en compte transactions historiques enregistrées par la base BIEN (Base d'Informations Economiques Notariales) et les signatures de compromis recueillies par les 400 agents franciliens partenaires au cours des semaines précédentes.
Par ailleurs, ne figurent dans notre top 100 que les artères comprenant au moins 30 immeubles d’habitation. En-deçà, les transactions sont trop peu nombreuses pour être significatives.
L'actualité parisienne en vidéo

Cette chaise est-elle raciste, ou est-ce la photo ?

Soirée « africaine » et autruches Givenchy

La femme est Dacha Joukova, une personnalité majeure de l’art contemporain – côté collectionneuse, pas artiste. Née à Moscou, fille de l’oligarque Alexandre Radkine Joukov, elle a grandi aux Etats-Unis et s’est installée à Londres où elle partage la vie d’un autre oligarque, le propriétaire du club de football de Chelsea Roman Abramovitch.
Pour vous donner une idée du monde dans lequel vit cet ancien mannequin, elle a organisé en 2011 un safari d’une semaine en Namibie pour ses 30 ans, avec ses amis. Vogue y était et, dans son reportage de l’époque, racontait une soirée costumée « africaine » entre copines avec peintures tribales et sarongs. Et cette phrase d’un participant, que je vous recommande lors de votre prochain voyage en Afrique (rapportée par WMagazine.com) :
« Les autruches, c’est sooo Givenchy ! »
L’insouciante Dacha Joukova, donc, reçoit le journaliste de Buro 24/7 et pose, à sa demande ou à son initiative, sur cette « chaise-œuvre d’art ». Circonstance aggravante pour certains : l’interview est mise en ligne le jour du Martin Luther King Day aux Etats-Unis et cette photo illustrant la domination des Blancs sur les Noirs n’est pas le meilleur hommage au défenseur des droits civiques. Mais un site de mode russe est-il tenu de connaître le calendrier des jours fériés aux Etats-Unis ?

« J’exècre le racisme »

Suite à la polémique, Buro 24/7 s’est excusé et a coupé la photo : on ne voit plus que les bottes de la femme-objet, au sens premier du terme. Ni le photographe ni le rédacteur en chef n’avaient visiblement envisagé que cette photo ferait scandale...
Joukova a aussi réagi sur son compte Instagram :
« Cette photographie, qui a été complètement sortie de son contexte, est une œuvre d’art qui est spécifiquement un commentaire sur les questions de genre et de race. J’exècre le racisme au plus haut point et m’excuse auprès des personnes qui ont pu être choquées par cette photo. »

La version noire d’une œuvre à scandale

Le seul dont on attend encore le commentaire, c’est l’auteur de l’œuvre. Il s’appelle Bjarne Melgaard – nous lui avons envoyé un e-mail et nous actualiserons cet article lorsqu’il nous répondra.
Cette chaise en forme de femme noire quasi-nue, habillée en objet de fantasme SM et dont les seins sont écrasés par les jambes, n’est pas sortie de son esprit – aussi torturé soit-il. Il a repris l’œuvre, déjà controversée à l’époque, de l’artiste pop art Allen Jones.
 
L’œuvre d’Allen Jones exposée à Londres, le 21 octobre 2013 (REX/Ray Tang/REX/SIPA)

En 1969, ce Britannique réalise une série de trois œuvres transformant des femmes en objet : chaise, table, porte-manteau. La réaction est violente. Chacune de ses expositions est, dans les années 70, le théâtre de manifestations féministes.
Allen Jones, qui se revendique lui-même comme féministe, dit avoir été inspiré par la sexualisation des vêtements féminins dans les années 60. Il a expliqué au Daily Telegraph :
« Ma réflexion et mon commentaire portaient exactement sur la même situation que celle à la source du mouvement féministe. Mon malheur est d’avoir fabriqué l’image parfaite leur permettant de montrer comment les femmes étaient transformées en objet. »

Un artiste « obsédé par la provocation »

Bjarne Melgaard a fait une version noire de cette femme-chaise. C’est normal : dès qu’il rencontre un tabou, ce Norvégien veut le briser. Dans sa dernière exposition, il imite six nus du peintre William Copley et les trois femmes d’Allen Jones en remplaçant tous les personnages blancs par des Noirs. Le critique Andrew Russeth écrit :
« Provocateur pas repenti, M. Melgaard cherche à choquer, comme d’habitude. Mais il est bon de se rappeler que les surréalistes, que Copley a soutenus en tant que galeriste et collectionneur, pensaient que de tels chocs psychologiques pouvaient être libérateurs. »
Gunnar Kvaran, spécialiste de l’art contemporain, a convié Bjarne Melgaard à la dernière Biennale de Lyon dont il était commissaire invité. Il exclut toute éventualité d’une pensée raciste chez Melgaard et me décrit un artiste habité par l’envie de choquer, héritage sans doute d’une enfance difficile :
« Il est né dans la société protestante norvégienne qui, jusqu’à très récemment, avait peur de ce qui ne lui ressemblait pas. Lui s’est beaucoup senti exclu par son homosexualité. Il a toujours été obsédé par la provocation, qui passait par la perversion, la violence, le sado-masochisme.
Ce qui est intéressant dans ce cas-là, c’est qu’il s’est souvent approprié les visages et les phénomènes qui ne sont pas acceptés par notre société de blancs et hétérosexuels. »
Le critique d’art du Guardian Jonathan Jones défend lui l’artiste norvégien en voyant dans cette chaise une critique de l’original d’Allen Jones. Son but est selon lui de rendre « à nouveau toxique l’œuvre d’Allen Jones, de choquer les gens avec une image qu’ils ont depuis acceptée ».
« Etes-vous choqué par ce que subit cette femme noire ? Alors pourquoi êtes-vous d’accord avec le fait que des femmes blanches soient humiliées de la même manière dans une œuvre icône du pop art et exposée à la Tate [musée d’art contemporain à Londres, ndlr] ? »
Bjarne Melgaard veut choquer, il a réussi son coup au-delà de ses attentes. Joukova devra, elle, expliquer dans les prochaines foires internationales qu’elle n’est pas raciste et qu’elle n’a fait qu’obéir aux ordres. Quant au photographe...

« D’où tu viens ? », c’est raciste ? Une Bretonne et une Métisse en parlent

Mercredi, la rédaction de Rue89 a reçu un coup de fil de la responsable du service de presse de France Ô. La chaîne lance une plateforme contre le racisme ordinaire, avec un appel à témoignage en direction des internautes. Quelques people ont accepté de jouer le jeu (Lilian Thuram, Rokhaya Diallo).
Peut-on relayer l’une de ces vidéos ?
L’attachée de presse envoie tous les liens. Nolwenn Le Blevennec, journaliste à Rue89, regarde celle de Rokhaya Diallo. Un dialogue naît avec Renée Greusard, journaliste aussi, et voisine de bureau.

« La question t’embête ? »

Nolwenn : Dans la vidéo de Rokhaya Diallo, un passage m’intéresse. Elle dit :
« [Le racisme ordinaire], c’est la question de la provenance systématique, les personnes qui vont nous demander systématiquement d’où on est. Mais non pas par une réelle curiosité pour l’endroit d’où on vient, mais en imaginant forcément qu’on vient d’ailleurs.
Et quand c’est pas le cas, ils se montreront insistants, demanderont d’où viennent nos parents, où est-ce qu’on est né, mais avant, où est-ce qu’on était... Quand elles se répètent de manière très régulière, ça finit par semer le doute, même chez soi, et on finit par se demander : qu’est-ce qui laisse penser aux gens que je ne suis pas d’ici ? »
En écoutant ce témoignage, je me suis sentie mal à l’aise. La question « d’où tu viens », j’ai souvent envie de la poser aux gens que je rencontre en reportage. Récemment, dans une cité à Orange (Vaucluse), après avoir longuement parlé avec un jeune, j’ai eu envie de lui poser la question. J’ai finalement renoncé, sentant qu’elle ne passerait pas.
Alors je me tourne vers toi Renée, ma voisine à Rue89, métisse (mère sénégalaise) : ça t’embête toi, quand on te demande d’où tu viens ?
La question de Nolwenn (Photo : Audrey Cerdan/Rue89 ; bulles : Renée Greusard/Rue89)

Renée : Ta question me fait sourire. Ma réponse n’est pas simple. Ça me dérange souvent, mais pas systématiquement.
Les fois où ça me dérange (pour ne pas dire que ça me rend dingue et hurlante), c’est quand elle vient d’inconnus dans la rue. Ça arrive souvent. Toujours des mecs qui draguent. Ils posent la question et exigent une réponse :
« D’où tu viens ? »
Ça ne les regarde pas, c’est mon intimité. Dans ces moments, je me sens pleinement ancrée dans les questions d’intersectionnalité qui occupent les chercheurs sur les discriminations et le genre. Parce que je suis une femme, des types se permettent de me déshabiller du regard, de me dire « tu », de « valider » mon physique et, parce que je suis métisse, ils se permettent cette question qu’ils ne posent jamais aux blondes aux yeux bleus. Je leur appartiens en tant que femme et que métisse.
La réponse de Renée (Photo : Audrey Cerdan/Rue89 ; bulles : Renée Greusard/Rue89)
Un jour, à côté de moi dans le métro, un type à qui j’avais accepté de répondre (plus simple pour s’en débarrasser) s’est fendu de cette magnifique réponse :
« J’en étais sûr. Cocktail explosif. »
Je l’ai regardé avec beaucoup de mépris. En quoi un enfant métissé basque-auvergnat ne serait pas un cocktail explosif ? Et en quoi avoir une mère noire et un père blanc, c’est explosif ? C’est normal (gros bouffon).

« Tu te demandes pourquoi je suis marron ? »

En soirée, la question me dérange moins. Il y a des curiosités sincères, très englobantes. Des gens qui veulent tout savoir de moi. Ceux-là me demandent d’où je viens comme ils me demandent ce qui me plaît dans le métier que je fais. La question se pose dans un échange réel et elle ne me dérange pas. Mais quand elle arrive trop abruptement et qu’elle signifie en réalité « Pourquoi tu es de cette couleur ? », je fais une réponse fermée.
Basique :
« Ma mère est d’origine sénégalaise, mon père est d’origine française. »
Impertinente (avec quelques verres dans le nez) :
« Tu te demandes pourquoi je suis marron ? »
Factuelle :
« Qu’est-ce qui t’intéresse ? Où j’ai grandi ? L’endroit où je suis née ? »
Facétieuse :
« Je viens du XVe arrondissement, le plus chiant de Paris. »
Informative :
« Tu sais, on peut être noir et venir de France. »
Je comprends qu’on soit curieux d’une nouvelle personne. Il peut moi-même m’arriver de demander à quelqu’un qui me dit ne pas venir de Paris. :
« Ah bon ? D’où tu viens ? »
Mais cette question souligne parfois une vision étriquée de l’identité. Attention, à partir de maintenant, on entre dans des considérations philosophiques. « D’où tu viens ? », pour certaines personnes, ça veut dire « Qui es-tu ? ». Pas pour moi. Je me sens plus définie par le fait que j’aime faire la fête, danser et manger que par mes origines (aussi bien françaises que sénégalaises). Toi qui poses cette question, Nolwenn, te sens-tu définie par le fait que tu es française et bretonne ?
Nolwenn : Je viens de réaliser que je vis la même chose que toi. Je porte mes origines sur mon prénom (et mon nom de famille). Les gens que je rencontre ne peuvent pas s’empêcher de faire des remarques. Deux blagues possible :
« Ce serait pas un peu breton par hasard ? »
Ou la variante (un peu plus drôle) :
« Ah ! Mais vous êtes italienne, vous, ça s’entend ! »

« J’ai grandi à Neuilly-sur-Seine »

Et de poser, dans la foulée, la question de la provenance. Pour ne pas décevoir, je réponds « Côtes-d’Armor » (fief de mes grands-parents), alors que j’ai grandi à Neuilly-sur-Seine, dans le 92.
Quand j’ai plus de temps : j’explique que j’ai découvert mon coin de Bretagne tardivement et qu’une mer tapant sur des rochers peut m’émouvoir aux larmes (en riant parce que je ne pense pas que ce soit lié à mes origines).
Pour répondre à ta question, non, je ne pense pas que la terre sur laquelle je n’ai pas grandi ait influencé mon caractère.
Mais je n’ai jamais reçu cette question (répétitive et saoulante) comme quelque chose de réducteur. Je la vois surtout comme un bon moyen d’engager une discussion intéressante. Dès qu’on perçoit un signe d’exotisme ou d’atypisme, la curiosité s’éveille, les questions arrivent.
Renée : Avec l’exotisme, je trouve qu’on accède au cœur du sujet. L’exotisme, il est là où on décide qu’il est. Quand tu as dit ce mot, je suis allée chercher des choses à lire dessus. Ici, un chercheur en géographie dit [PDF] :
« L’exotisme n’est pas le propre d’un lieu ou d’un objet mais d’un point de vue et d’un discours sur ceux-ci. »
Tandis que sur Wikipédia, on lit :
« L’exotisme (du grec tardif exô- “ au-dehors ”, exôtikos “ étranger, extérieur ”) est un phénomène culturel de goût pour l’étranger. »

« Ma vie, avec du Sénégal dedans »

« Goût pour l’étranger. » Je ne me sens pas étrangère. Je suis française. Et comme tous les Français, il y a un peu de mélange dans ma carte d’identité. J’aime ma « double culture » mais je trouve bizarre qu’on l’imagine plus trépidante ou originale que la tienne Nolwenn, grenobloise, bretonne, bulgare par ton arrière grand-père. Tout le monde a une histoire à raconter. Nous sommes tous l’étranger de quelqu’un. Je suis curieuse de l’histoire de chacun. Je ne comprends donc pas qu’on reste bloqué sur la mienne et surtout qu’on l’imagine toujours dingue.
C’est juste l’histoire d’un homme et d’une femme qui tombent amoureux. Elle tombe enceinte. L’enfant naît à Dakar, grandit à Paris, dans le XVe arrondissement. Il a la même enfance que ses amis. Avec du Sénégal dedans. Comme d’autres ont de la Bretagne dedans.
Nolwenn : Oui, je suis d’accord avec toi. Tout le monde est exotique. Seulement, la couleur de peau ou le nom de famille, ce sont des portes d’entrée vers ces histoires.
Renée : Oui. J’aime bien que tu dises « porte d’entrée ». Une porte, ça s’ouvre de plein de façons. Certaines personnes rentrent quand elles y sont invitées, d’autres par effraction.
Ce qu’il y a derrière la porte est de l’ordre de l’intimité. Parfois, c’est lourd. Par exemple, le processus d’intégration des parents a pu être long et difficile. Poser cette question, comme ça, abruptement, peut raviver des douleurs. C’est indélicat.
Je ne me souviens d’ailleurs pas d’avoir entendu cette question, « D’où tu viens ? », dans la bouche de mes amis les plus proches. Peut-être que je me trompe, mais je crois qu’ils n’ont pas eu à la formuler parce que, comme de dire que j’adore cuisiner, ça survient forcément à un moment donné de nos conversations.
Nolwenn : Oui, et il y a aussi des gens qui ne connaissent pas le pays d’origine de leurs parents, de leurs grands-parents ou qui le rejettent et ceux-là sont face à un sentiment d’inadéquation flippant quand on leur demande d’où ils viennent. Donc il faut faire attention.

Pierre Haski : « Un embarras très français »
Et si cette prudence était très franco-française ?
Quand nous sommes allées voir Pierre Haski pour lui proposer d’écrire le dialogue que vous venez de lire, il nous a raconté l’anecdote d’une journaliste chinoise-américaine à Pékin :
« Elle a demandé à un diplomate français, métis, d’où il venait. Le type s’est fâché, ne supportant pas qu’on lui pose cette question à lui, un représentant de la République avec un grand “R”.
La journaliste chinoise-américaine était complètement ahurie. Aux Etats-Unis, c’est une question qu’on pose tous les jours et à tout le monde, avait-elle expliqué. Elle était la première à poser cette question alors qu’elle était de la troisième génération. »
 

Dans l'imaginaire tricolore, les Noirs restent footballeurs

Francis Delattre, le maire UMP de Franconville, se défend avoir tenu des propos racistes en racontant, samedi 30 janvier, dans un meeting électoral, qu’il avait pris la tête de liste socialiste dans le Val-d’Oise pour un footballeur du PSG. Son adversaire politique, d’origine malienne, est Noir. Delattre n’est pas le premier à faire cette association d’idées et ceux qui pourfendent l’antiracisme contemporain jurent qu’il ne s’agit que d’humour tricolore bon teint. D’ailleurs, la salle rit. (Voir l’extrait en vidéo, aux alentours de 1’40)

Jacquette de ’La Condition noire’ (DR).

Sauf que cette saillie, que l’UMP Franck Riester (ancien blogueur sur Rue89) a d’ailleurs jugée « scandaleuse “, relève d’un vieux rictus qui a la vie longue.
Interviewé par Rue89 en juin 2008 pour son ouvrage ‘La Condition noire’, l’historien Pap Ndiaye racontait qu’il se trouvait toujours, dans les dîners en ville, un convive pour lui demander des conseils en jazz. Voire préjuger de ses talents de danseur. Comme on s’étonnait déjà, en 1952, d’entendre le psychiatre Frantz Fanon parler un français impeccable. Décryptage avec lui du regard que la France porte encore sur le taux de mélanine.
 
 
On publie en France moins d’ouvrages consacrés aux Noirs de France que de livres ayant trait aux Noirs américains. Ces dernières années, le milieu associatif noir a pourtant donné une assise de plus en plus solide aux Noirs dans le débat public. Le Cran, créé fin 2005 par Patrick Lozes, proche de l’historien Pap Ndiaye, avec qui il ‘converse presque quotidiennement depuis quatre ans’, y a notamment contribué.
Pourtant, l’université a longtemps renaclé à s’emparer de cet objet de recherche. Pour y remédier, Pap Ndiaye a publié ‘La Condition noire’. Cet ouvrage très touffu -plus de 430 pages- et passionnant se présente volontiers comme une première pierre à l’érection de black studies en France.
Son ambition ? Embrasser la ‘question noire’ dans son ensemble en s’appuyant sur plusieurs disciplines : histoire, sociologie, droit, psychologie… De ces travaux menés par le métis grandi en France mais né d’un père sénégalais et d’une mère française, les Noirs de la métropole émergent non comme un groupe à l’identité monolithique et aux aspirations toujours cohérentes -une ‘identité épaisse’ comme dit Pap Ndiaye- mais comme ‘une minorité, soit un groupe de personnes ayant en partage l’expérience sociale d’être généralement considérées comme noires’.
Entre déterminisme et hétérogénéité
Il paraphrase Sartre et dessine le contour de ce groupe en en faisant un construit social, pétri par un déterminisme multiple qui emprunte autant à l’histoire qu’à la sociologie :
‘Etre noir n’est ni une essence ni une culture, mais le produit d’un rapport social : il y a des Noirs parce qu’on les considère comme tels.’
Pour éprouver l’influence de ce déterminisme, l’auteur s’est heurté au problème de la définition des Noirs comme groupe. Or il s’agit d’un groupe hétérogène. Jusqu’à la pigmentation, une question trop souvent niée en France mais bien présente. La préface de ‘La Condition noire’ est signée de la romancière Marie NDiaye, sœur de l’auteur (elle a conservé la majuscule au D) qui a écrit pour l’ouvrage une nouvelle sur le colorisme :
C’est cette thèse d’une communauté de destin, de ‘sort partagé’ plus que de partage culturel, centrale dans l’ouvrage, qui permet à l’auteur d’éviter les écueils de l’essentialisme tout en dépassant les limites d’un universalisme souvent étriqué et parfois aveugle. Certes ‘la France est aveugle à la couleur’, dit-il… mais la République n’en a pas moins un problème avec les peaux pigmentées.
Pas tant parce que l’Hexagone n’arrive pas à se défaire de ses vieilles lunes assimilationistes, estime l’historien qui rappelle que, depuis Césaire, Senghor et la Négritude -soit les années 1930-, ‘l’assimilationisme a pris du plomb dans l’aile’. Mais plutôt parce qu’on ne sait pas encore penser le groupe des Noirs dans sa singularité.
 
Supplément de mélanine et ‘paradoxe minoritaire’
L’auteur cite aussi bien Frantz Fanon qui pointait déjà, en 1952, l’étonnement de certains devant sa maîtrise du français, que l’épisode de la coupe du monde de foot en 1998, quand la France se découvrait autrement tricolore. Depuis, Georges Frêche et d’autres se sont publiquement outrés de ce supplément de mélanine sur la pelouse. D’autres continuent de croire lui donner tort lorsqu’ils clament qu’ils ‘adorent les Noirs parce qu’ils sont de bons danseurs’.
Pap Ndiaye, lui, préfère travailler sur les discriminations ‘plus immédiatement urgentes que la question du racisme stricto sensu’ et n’évacue pas le ‘paradoxe minoritaire’ qui veut que les Noirs réclament à la fois qu’on ignore leur particularisme de peau tout en ayant soif de reconnaissance de leurs particularités identitaires :
Chercheur longtemps spécialisé sur les Etats-Unis, il s’est prononcé en faveur des statistiques ethniques comme ‘un outil parmi d’autres’. S’affichant ‘pragmatique’, Pap Ndiaye veut débusquer les discriminations, déjouer le racisme et s’interroge même sur la posture de tout le mouvement antiraciste français qui, à force de nier la race coûte que coûte, a peut-être perdu en efficacité :
‘Réfuter absolument la notion de ’race’ au nom de l’antiracisme, c’est-à-dire au motif que les ’races’ n’ont pas d’existence biologique et qu’il faudrait promouvoir l’unicité du genre humain, est une position morale qui rend difficile la réflexion sur les caractéristiques sociales des discriminations précisément fondées sur elle.’
Des lenteurs liées au tropisme marxiste
Pour lui, si la recherche -comme le milieu du documentaire, du reste- a si longtemps tardé à s’intéresser aux Noirs, c’est aussi parce qu’un vieux tropisme marxiste -‘par ailleurs utile- a donné pour habitude de penser la société à travers le tamis de la classe et pas de la couleur. Mais surtout parce qu’on répugne en France à aborder ces sujets, par crainte d’être taxé d’essentialiste sitôt que l’on isolerait un groupe ethnique ou une couleur de peau comme un objet de recherche.
L’émergence des Noirs dans le débat public n’est pourtant pas nouvelle. Pap Ndiaye, parlant de sujet noir’, remonte aux années 1920, époque des ligues de défense des Antillais ou des Africains. Dans la foulée, le prolétariat noir -dockers ou marins souvent- se construisait une identité commune, partiellement relayée par le parti communiste même si l’historien note ‘une attitude parfois ambiguë’ de la part du parti qui a pu craindre l’émergence d’un communautarisme en lieu et place d’une lecture de classe. Aujourd’hui, Averoes et le Cran relayent largement une parole noire, notamment dans les médias. Mais l’université tarde toujours :
Aujourd’hui, Pap Ndiaye est confiant, toutefois. Il dessine un parallèle entre ce qu’il aimerait voir émerger comme ‘études noires’ et les ‘études de genre’. Ces dernières aussi ont tardé à s’imposer en France, alors que le genre s’étudiait depuis déjà longtemps ailleurs. Lui qui enseigne à l’EHESS remarque d’ailleurs qu’il existe des ponts entre les deux champs de recherche, notamment à la faveur des recherches menées sur les Noirs ailleurs en Europe.
Car Pap Ndiaye croit à l’émergence d’études afroeuropéennes, y compris dans des pays qui n’ont pas été puissances coloniales en Afrique. Pour lui, c’est aussi le signe que les Noirs se vivront, s’étudieront et s’écriront durablement comme une minorité.
La Condition noire de Pap Ndiaye - éd. Calmann-Lévy - 435p., 21,50€.
Article publié en juin 2008 et modifié le 01/02/2010, après le rétropédalage de Francis Delattre.
Titre d’origine : Pap Ndiaye : ‘Etre noir en France, un sort partagé, pas une culture’
http://www.dailymotion.com/video/x5mbj9_pap-ndiaye-itv-1_news http://www.dailymotion.com/video/x5mkfz_pap-ndiaye-itv-2_news http://www.dailymotion.com/video/x5ml4a_pap-ndiaye-itv-3_news

Dans ce lycée, Noirs et Blancs ne déjeunent pas ensemble

Un parent d’élève a alerté Rue89 : dans un lycée agricole du sud de la France, la candidature de Marine Le Pen à la présidentielle exacerbe le racisme de certains.

Des vaches, non loin du lycée (Audrey Cerdan/Rue89)
Mi-février, en pleine vague de froid, le lycée paraît sans vie : rectangles en béton silencieux et pelouse gelée. Mais devant le réfectoire, dès 11h45, des dizaines de jeunes s’agglutinent, et il se passe quelque chose : les Noirs mettent leurs sacs près de la vitre ; les Blancs, à un autre endroit.
Beaucoup de lycéens ne souhaitent pas discuter de politique, certains déclinent par un sourire ironique, déplaisant. Les premiers qui témoignent sont de gauche : une partie des élèves est tentée par le FN, disent-ils, et c’est pour virer les étrangers.

« Ils disent que les Noirs sont sales »

Claire – tous les prénoms ont été changés, à la demande des élèves ou bien pour les protéger –, 16 ans, nous a donné rendez-vous dans « le temple du shopping » de la ville d’à côté. Claire est une première de classe, habillée de bleu et marron, fan de l’écrivain Pierre Bottero, utilisant l’expression « c’est avantageux » pour dire « c’est frais ».
Claire (Audrey Cerdan/Rue89)
Elle se dit de gauche : « En 2007, j’étais en CM2, et j’étais pour Besancenot » (elle tient ça de ses parents). Claire pense que Marine Le Pen peut passer : « Tous les petits vieux la trouvent bien mignonne. » Au lycée ?
« Au lycée, y a pas mal de racistes, surtout des garçons. Ils disent que les Noirs sont sales, que ce sont des crades. »
Plus âgée, Lucie, en BTS, est une « grosse glandeuse » très sympathique, qui aimerait devenir véto, mais ne s’en donne pas les moyens (boîte de nuit tous les jeudis soirs, entre autres). Lucie ne vote pas. « Pas assez cultivée. Je trouve le journal Le Monde trop difficile, je n’arrive pas à le tenir. »
Sur le racisme, elle dit :
« Au lycée, [les Blancs] ne mangent pas à côté des filles noires. Mes grands-parents n’aiment pas les Arabes, mais à ce point-là je n’ai jamais vu ça. Dans leur tête, c’est fixé, il n’y a que Le Pen qui peut y arriver. »

« Elles profitent du racisme »

Les filles noires ? Une bande de copines, en bac pro service en milieu rural (SMR), venant de la ville. C’est elles qui sont visées.
Au lycée, ces filles noires, urbaines, des quartiers, cohabitent avec des jeunes Blancs issus d’un milieu modeste (mère cantinière, père à la SNCF, par exemple), rural, ou les deux. Claire trouve que les remarques racistes sont « infondées », bien sûr, mais elle ne les condamne pas fermement. Elles n’aime pas ces filles pleines d’exubérance. Claire semble répéter un discours cent fois entendu quand elle dit :
« Ce n’est pas parce qu’elles sont noires, mais elles ont toutes un grain. Provocatrices, en talons aiguilles. Elles sont toujours ensemble et cherchent à avoir mauvaise réputation. Elles profitent du racisme envers elles pour retourner le racisme. »
Plusieurs heures plus tard, Lucie, qui n’est pas raciste non plus, dit à peu près la même chose. Sans se rendre compte de la violence de ses mots :
« Elles sont spéciales, ce sont des pouf’. Elles s’isolent, et elles critiquent les paysans. Elles parlent super fort aussi, on entend qu’elles, c’est pour ça qu’on s’assoit loin à la cantine. »

« Leurs parents ne sortent pas de chez eux »

Claire et Lucie ne se révoltent donc pas spécialement quand leurs camarades de classe insultent les filles noires ou les regardent avec mépris. Elles laissent faire. Ce sont souvent des fils d’agriculteurs, disent-elles. Lucie essaye de trouver des circonstances atténuantes à ses camarades :
« Ces mecs, ils ont des parents qui ne sortent pas de chez eux, qui regardent la télé et qui bloquent dès qu’il y a un fait divers avec un Noir ou un Arabe. Je connais un paysan, il habite encore chez sa mère à 40 ans, le pauvre. Il déteste Harry Roselmack. Il y en a plein des comme ça. Et puis, faut arrêter, les remarques racistes, c’est pas tout le temps. »
De son côté, Claire précise que certains sont plus ouverts que d’autres. Elle pense à une copine, « fille de paysans », « qui a récemment envisagé de lire le journal d’Anne Franck ».

« Sales Noirs, laissez-nous partir »

Plus tard, Mariam et Amina sortent de la cantine, sous un ciel aux nuages jaunes et froids. Elles sont noires, dans la fameuse filière SMR (un peu par défaut, elles ne savaient pas où aller après le BEP). Dès que la question du racisme au lycée est posée, elles ne s’arrêtent plus de raconter :
« Il y a beaucoup de problèmes avec les gens de couleur ici. Ils disent “vivement la vague bleue”, en référence à Marine Le Pen. »
La présidentielle rend la situation plus difficile, disent-elles.
« Ce n’était pas pareil, il y a deux ans. Ils nous disent qu’ils vont enfin pouvoir nous dégager. »
Mariam, 19 ans, timide, raconte qu’elle était enceinte l’année dernière, et qu’on lui a mis un coup d’épaule. On l’a aussi traitée de singe. Elle dit que « cela se frotte » toujours dans le bus ou au self-service :
« Ils rigolent de nous. »
« Ils nous doublent dans la queue. »
« Ils se mettent très loin de nous, même quand il y a une table de huit places libre à côté. »
Mariam (Audrey Cerdan/Rue89)
Amina, plus explosive, raconte une anecdote dans le bus : une fille black s’est fait « emmerder » par le chauffeur, alors qu’elle avait payé son ticket. Les Noirs étaient de son côté.
« Les autres se sont révoltés en se mettant à hurler : “Bande de sales Noirs, laissez-nous partir en week-end.” C’était le retour à la ségrégation. »

Le bonheur, ce sera au soleil de Guinée

Ces deux-là ne portent pas de talons hauts et n’ont pas « un grain » dans la tête, comme le décrivait Claire. Amina ne sait pas qui est responsable de cette situation : les parents, la société, les médias... Mais elles se font une raison.
« On encaisse, on vit avec. Du moment qu’ils nous crachent pas dessus, ils peuvent avoir des opinions. Mais ce qu’ils ne supportent pas, c’est qu’on ne se laisse pas faire, qu’on ne baisse pas les yeux. On aurait des copains sur place, je pense qu’ils rigoleraient moins.
Quand on va voir les CPE [conseillers principaux d’éducation, ndlr] pour dire qu’on est persécutées, elles nous répondent qu’on a une part de responsabilité. [...]
C’est vrai qu’on a un esprit africain, on aime rigoler et être ensemble, mais on a aussi des camarades blanches et on ne rejette personne. »
Elles les appellent quand même les « petits campagnards », ce qui est à la fois méprisant et affectueux.
Amina (Audrey Cerdan/Rue89)
Amina aimerait être considérée comme une Française. « On me demande toujours de quel pays d’Afrique je viens. »
Et en même temps, elle sait déjà que la France ne va pas la rendre heureuse. Ses parents, qui s’occupent d’une famille nombreuse, ne travaillent pas. Son futur métier ne lui plaît pas, d’avance.
Amina n’a jamais été en Guinée, mais c’est dans ce pays qu’elle se voit souffler, et tourner son visage vers le soleil.
« Y a pas moyen. Je finirai mes jours là-bas. »

« Les agriculteurs ont changé »

Qui sont ces ados xénophobes ? Fils d’agriculteurs, Thomas et Martin, ne se sentent pas du tout concernés. Ils sont eux très à gauche, pas racistes du tout.
Martin (Audrey Cerdan/Rue89)

Martin a des parents dans l’agriculture bio, séduits par Mélenchon. C’est l’intello de sa bande. L’année dernière, il était dans une classe qui comptait beaucoup de racistes. Il ne les aimait pas. Il s’en est rendu malade (fièvre chronique).
A 19 ans, Thomas ne cesse de répéter que son père, sans héritage, a dû « démarrer son exploitation de rien ». Dix ans de sacrifice. C’est peut-être ce qui explique la différence de mentalité entre lui et ces camarades :
« [Les autres fils d’agriculteurs], ils ont déjà tout le matériel, toute la terre. Il n’ont pas besoin de travailler autant. Ils ont tout dans les mains. Ils ne voient plus les choses comme il y a vingt ans. Ils n’ont plus les mêmes valeurs de travail, de partage, de terre. Ils voient juste le bout de leur nez. »

« Ça dérape sur le fait qu’il y a trop de Noirs »

Fred a des yeux bleus ahurissants (ceux de sa mère). Il est moins tranché politiquement que Thomas et Martin. Lui vient du Nord de la France, il n’est pas fils d’agriculteurs. Il est en filière technologique « aménagement du territoire ». Il raconte :
« Les gens de ma classe trouvent qu’il y a trop d’immigrés et qu’il vaut mieux que chacun soit chez soi. En cours d’éducation socio-culturelle, on parle de la culture française, et tout de suite ça dérape sur le fait qu’il y a trop de Noirs. »
Fred (Audrey Cerdan/Rue89)
Quand on lui demande pourquoi il ne s’indigne pas, il hausse les épaules.
« Moi, je m’entends bien avec tout le monde dans ma classe. »
C’est le lendemain, quand la classe de Fred sort de cours, qu’on tombe enfin sur l’un d’eux. L’un des « leaders », très imposant, avec des cheveux laqués, et des tâches blanches sur les dents qui lui donnent l’air d’un enfant.
Marine Le Pen peut-elle faire quelque chose contre les étrangers en France ? Il répond : « Non, c’est trop tard, elle peut rien faire, il y en a trop. » Puis il s’en va, fier de lui. C’est tout. L’autre grand chef de bande désigné, aux pics dans les cheveux, voudrait bien nous parler, mais sa petite copine autoritaire le lui interdit.
 
Des éléments ont été retirés pour protéger l’identité d’un des élèves.

Malheureusement, je suis métisse

Mon papa est un Noir des Caraïbes et ma maman est une Blanche du sud de la France. Je suis née en France, sur le territoire français.
Making of
Cet article a été initialement publié sur la revue en ligne Regain, où vous pouvez le retrouver en intégralité. Rue89
Bébé, j’étais jamais en paix : les gens s’arrêtaient dans la rue pour dire à mes géniteurs à quel point j’étais jolie et qu’ils avaient de la chance d’avoir « un bébé métis ». Je répète : « la chance d’avoir un bébé métis ».
Mais oui, c’est ça : mes parents ont joué au bingo et ils ont gagné un enfant « métis ».

Je suis leur fille, pas leur fille métisse

En vrai, mes parents très amoureux ont fait l’amour et ma mère est tombée enceinte et, par la force des choses, je suis née (métisse).
J’ai appris la musique à trois ans, j’ai été en avance scolairement et miracle des choses j’étais particulièrement curieuse. En conséquence, j’ai toujours eu de l’avance sur mes camarades. C’était assez confortable.
Malheureusement j’étais métisse.
En primaire, une enfant s’est permis de tenir devant moi des propos extrêmement violents, que j’ai innocemment répétés à mes parents. Inutile de vous décrire à quel point ils ont été désarçonnés. En effet j’étais leur fille, pas leur fille métisse.
Heureusement cet incident s’est réglé avec des réprimandes et une leçon de civisme. Mais cela a été le début d’une longue série. Dans l’étendue de remarques racistes, j’aimerais m’arrêter sur celle qui pour moi a été la plus formatrice.

« Au temps d’Hitler, tu serais déjà morte »

A l’âge de 7 ans, j’ai commencé à jouer au basketball. Non pas parce que je voulais faire comme les Afro-américains, mais parce que mon meilleur ami de l’époque – un petit rouquin charmant – m’avait entraînée avec lui. Il s’est avéré que j’étais bonne alors j’ai continué. Sauf qu’étant plus grande (plus forte musculairement que les autres) j’ai rapidement été surclassée, re-surclassée et j’ai fini par m’entraîner avec des garçons.
Un jour, j’ai changé de club et l’entrainement était mixte (d’un niveau vraiment plus faible). Comprenez bien qu’à 11 ans, on est une enfant, on m’a donné un ballon et j’ai joué. J’ai même gagné plusieurs fois face à un garçon, légèrement plus jeune mais tout aussi costaud. Alors, de rage, il m’a hurlé :
« Au temps d’Hitler, tu serais déjà morte. »
Stupeur. J’ai répliqué d’instinct que lui aussi « bête, comme il était, il aurait été tué ». Mais le mal était fait. Mon père, apprenant ça, a voulu s’expliquer avec l’entraîneur, l’enfant et la mère de celui-ci.
Tous trois ont considéré que ce n’était absolument pas grave : après tout nous n’étions que des enfants. J’ai quitté le club et je n’ai jamais plus réussi à jouer au basket.

En sixième, la discrimination positive

Dix ans plus tard, je me demande toujours s’il était raciste ou si c’est simplement la honte d’être battu par une fille qui l’a poussé à s’exprimer. Ce jeune homme, je l’ai recroisé au lycée et j’ai eu sa chère mère en professeur d’anglais, qui s’est fait un malin plaisir à me coller des 6 toute l’année.
À mon entrée en sixième, j’ai été placée dans une classe spéciale. J’étais élève au conservatoire, et j’avais demandé à intégrer une classe avec des horaires aménagés. Cette classe était aussi faite pour être « la meilleure de la promotion ».
Mes parents apprirent plus tard que je n’avais été acceptée qu’à cause de ma couleur. Je venais d’expérimenter pour la première fois la discrimination positive. Je ne préciserai pas à quel point ça été une année affreuse et pleine de brimades.
Désormais je vis à Paris. Naïvement, j’ai cru que vivre dans la grande ville me libèrerait de tout cela. J’ai découvert ainsi un phénomène assez intéressant.

Je ne suis pas assez foncée pour être noire

J’ai été élevée dans un milieu à 98% blanc, où l’on m’a toujours expliqué sans pudeur que j’étais différente. Le bébé métis qui les fascinait dérangeait désormais. Je fantasmais donc sur un univers noir, sur mon autre partie. J’ai subi une sévère désillusion.
D’une part, étant métisse, je suis un pur objet sexuel, réceptacle de tous les fantasmes d’intégration. Je ne reçois que très peu de respect de la part des Noirs que je rencontre, ils ne se gênent pas pour me regarder lubriquement.
Des vêtements de poupée exposés à La Nouvelle Orléans en juille 2012 (Gerald Herbert/AP/SIPA)
D’autre part, si jamais j’essaye de leur expliquer que non, « je ne suis pas blanche et que je me sens noire », je me fais rire au nez. Pourtant nous avons la même éducation, celle qui me causait tant de soucis dans un milieu blanc. Mais je ne suis pas assez foncée.
 
Il y aurait donc un degré de noirceur pour être noire ?
 
Je suis noire parce que mon père est noir. Je suis blanche parce que ma mère est blanche. Je suis à la fois l’un et à la fois l’autre. Je suis pleinement noire et pleinement blanche. D’ailleurs je subis deux sortes de rejet et je ne choisirais ni l’un ni l’autre.
 
Mais si on me demande de quelle couleur est ma peau je réponds noire. C’est mon droit et même mon devoir, je dirais. Je me dois d’honorer la mémoire de mes ancêtres noirs qui vivent en moi, autant que ceux, blancs, qui sont sans aucun problème reconnus par les livres d’histoire.
Dany Bibota

jeudi 12 décembre 2013

Mort de Kate Barry : La fille de Jane Birkin est tombée du 4eme étage...

C'est avec une immense tristesse que nous apprenons la mort de Kate Barry. La superbe photographe est tombée du quatrième étage de son nouveau domicile dans le 16e arrondissement de Paris, ce mercredi à 18h. Son corps a été retrouvé dans la cour, sans vie. Elle avait 46 ans.
 
Jane, Charlotte, Lou et Kate. Toutes étaient réunies encore récemment à l'inauguration de la Galerie Cinéma d'Anne-Dominique Toussaint dans le 3e arrondissement de Paris qui présentait l'exposition Point of View, signée Kate Barry. C'est à 28 ans qu'elle s'était lancée dans une carrière derrière l'objectif avec un grand succès. Les plus grands magazines ont publié ses portraits à fleur de peau, souvent en noir et blanc, presque naturalistes, comme ELLE, Paris Match, Figaro Madame, Sunday Times, Telegraph Magazine, Vogue UK...
Une photographe talentueuse, une fille exceptionnelle, un drame épouvantable. Adieu mon amie Kate...

 
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